Il ne suffit pas d’affirmer sa responsabilité pour en détenir le sens. Que veut-on atteindre, dans quelle position se place-t-on, qui est-on lorsqu’on se définit comme un acteur responsable ? La notion de responsabilité reste à élucider au-delà de ses usages consensuels, notamment dans son application aux acteurs économiques et financiers qui s’appuient le plus souvent sur une conception implicite de ce qu’elle peut signifier.

On peut distinguer différents types de sujet responsable.

La première figure serait celle de l’apôtre. La responsabilité se définit alors essentiellement par l’affirmation d’un ensemble de convictions morales tenues pour absolues. Une exigence éthique est par définition quelque chose avec quoi on ne peut transiger. Mais en pratique, et en particulier dans un champ d’action global, les convictions morales peuvent se heurter avec celles d’autres acteurs.

La deuxième figure serait celle du juge. La responsabilité se définit alors en rapport à des normes qu’il s’agit de respecter et de faire respecter. Un investisseur tend alors à devenir une sorte d’auxiliaire des pouvoirs publics, vérifiant que les entreprises se plient à un cadre normatif contraignant.

Une troisième position consisterait à définir la responsabilité en rapport à des objectifs plutôt qu’à des convictions absolues ou à des normes dont l’observance mécanique serait jugée satisfaisante. C’est la position d’un sujet responsable humble, qui prend en compte le monde tel qu’il est, qui a une vision progressive et méliorative, qui juge la manière dont une entreprise évolue – plutôt que de sanctionner a priori.

La multiplication des « acteurs responsables » pose la question de la légitimité du jugement. Qui est habilité à édicter des normes, à faire appliquer des contraintes ? Les investisseurs doivent-ils se substituer aux pouvoirs publics dans l’édiction et la mise en application de normes du bon comportement ? Sont-ils légitimes pour le faire ? Sont-ils fondés à sanctionner au nom de la morale ce que les lois n’interdisent pas ? A quelle position d’autorité peuvent-ils prétendre? A qui revient-il de dire ce qui doit être et ce qui ne doit pas être ?

Ce qui relève de la morale pure est traditionnellement jugé par soi-même et par l’opinion, non par le droit. Mais il y a une transition de la morale au droit : la judiciarisation suit la moralisation. Le sujet responsable n’est pas seulement dans la position de juger, mais aussi d’être jugé. Dans cette «responsabilité sociale», à qui, devant qui répond-on ? Devant l’opinion et ses nouveaux modes d’expression et de revendication, ou devant des instances juridiques constituées ? Quelle est la part du droit dans ce débat sur la responsabilité sociale ? Les engagements éthiques peuvent-ils devenir juridiquement opposables, et si tel est le cas, ne risque-t-on pas d’assister à un recul de la responsabilité ?