De toutes parts, s’exprime la volonté de redéfinir les relations entre l’entreprise et la société, le monde et la nature, de relier intérêt particulier et intérêt général, et d’associer les acteurs économiques et financiers à la poursuite d’objectifs de « bien commun » fondamentaux.
La responsabilité est fonction du pouvoir que l’on exerce. Les entreprises concentrent de nombreux pouvoirs, sur les hommes et sur les choses. L’exercice de ces pouvoirs n’est pas illégitime. Il est même nécessaire. Les entreprises doivent les exercer dans la mesure où ils permettent la production des biens et des services utiles à la condition humaine, aux territoires, aux communautés et à leur prospérité. Le débat porte sur la manière dont ils sont exercés, sur les obligations qu’ils entraînent, sur le souci qui doit guider ceux qui les exercent. Le débat n’est pas nouveau. Il prend aujourd’hui des caractéristiques particulières : la nature et la taille de certaines entreprises, les techniques qu’elles mettent en œuvre, leur impact social et environnemental, le creusement des inégalités posent les défis de la soutenabilité de l’économie, du rapport des entreprises aux institutions politiques et de leur légitimité à prospérer.
La responsabilité de l’entreprise est d’abord celle de ses actionnaires. Il y va de leur intérêt, en raison des risques qu’une entreprise mal conduite leur fait courir, mais aussi de la volonté que leurs investissements s’inscrivent dans une vision du long terme, sans laquelle la performance financière n’a ni sens ni durabilité. Comment favoriser le développement d’actionnaires de long terme ? Comment articuler perspectives financières et extra-financières ? La « Finance verte » peut-elle inspirer l’ensemble de l’activité financière ?
Si entreprises et investisseurs sont concernés, l’Etat conserve un rôle dont il est aujourd’hui le seul à détenir la légitimité. La tendance est à marginaliser l’Etat dans sa fonction régulatrice de l’économie, à vouloir tout reporter sur l’entreprise promue comme l’institution qui devrait répondre à tous les besoins sociaux et environnementaux. Mais l’activité économique s’exerce sur des territoires déterminés, qui ont leurs contraintes et leurs traditions. C’est aux Etats de définir les compromis nécessaires en fonction de la nature des territoires et de leur inscription dans un ordre historique, culturel et global donné. Les Etats sont aujourd’hui les seuls à posséder la légitimité d’organiser et cristalliser les arbitrages d’une société, à un moment, dans un territoire, sur les choix collectifs d’objectifs communs prioritaires. Le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise doit être l’occasion d’un réexamen de l’articulation des relations entre Etat et acteurs économiques et financiers.
La question de la responsabilité sociale de l’entreprise doit être enfin appréhendée dans sa dimension philosophique et politique. Le thème s’est fortement politisé. C’est un univers où les différentes parties prenantes font valoir leurs intérêts dans des catégories morales, universelles et abstraites. Grâce à leur prise de parole, l’économie se trouve placée sous l’impatiente juridiction morale de l’opinion. Mais les responsabilités dans un domaine qui lie tradition et innovation, qui, dans le contexte présent, sont celles de la conduite de transformations pourraient être appréciées selon d’autres critères, comme ceux qui ont longtemps caractérisé l’action juste. La question des valeurs est le dernier domaine qu’il conviendra d’explorer.
Yves Perrier, président du Comité Médicis
François Ewald, délégué général du Comité Médicis